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Etude de romans : Les soleils des indépendances (Amadou Kourouma)

Texte : Les lendemains qui déchantent.

Mais au fond, qui se rappelait encore parmi les nantis les peines de Fama comme un orage lointain et dès les premiers vents Fama s’était débarrassé de tout : négoce, amitiés, femmes pour user les nuits, les jours, l’argent et la colère à injurier la France, le père, la mère de la France. Il avait à venger cinquante (50) ans de domination et une pollution. Comme une nuée de sauterelles, les indépendances tombèrent sur l’Afrique à la suite des soleils politique. Fama avait comme le petit rat de marigot creusé le trou pour le serpent avaleur des rats, ses efforts étaient devenus la cause de sa perte car comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les indépendances une fois acquises, Fama fut oublié et jeté au mouche. Passaient encore aux postes de ministres, de députés, d’ambassadeurs pour lesquels lire et écrire n’est pas aussi futile que des bagues pour un lépreux. On avait pour ceux-là des prétextes pour l’écarter, Fama demeurant analphabète comme la queue d’un âne. Mais quand l’Afrique découvrit d’abord le parti unique (le parti unique, le savez-vous ? ressemble à une société de sorcières, les grands initier dévorent les enfants des autres), puis les coopératives qui cassèrent le commerce, il y avait quatre occasions de contenter et de dédommager Fama qui voulait être secrétaire général d’une sous-section du parti ou directeur d’une coopérative.

Que n’a-t-il pas fait pour être copté !  Prier Alla nuit et jour, tuer des sacrifices de toutes sortes, même un chat noir dans un puit ; et ça se justifiait ! les deux plus viandés et gras morceaux des indépendances sont surement le secrétariat général et la direction d’une coopérative…le secrétaire général et le directeur, tant qu’ils savent dire les langues du président, du chef unique et de son parti, le parti unique, peuvent bien engouffrer tout l’argent du monde sans qu’un œil ose ciller dans toute l’Afrique.

Mais alors, qu’apportèrent les indépendances à Fama ? Rien que la carte d’identité nationale et celle du parti unique. Elles sont les morceaux du pauvre dans le partage et ont la sécheresse et la dureté de la chair du taureau. Il peut tirer dessus avec des canines d’un molosse affamé, rien en tirer, rien à sucer, c’est du nerf, ça ne se mâche pas. Alors comme il ne peut pas repartir à la terre parce que trop âgé (le sol de Horodougou est dur et ne laisse tourner que par des bras solides et des reins souples), il ne lui reste qu’à attendre la poignée du riz de la providence d’Allah en priant le bienfaiteur miséricordieux, parce que tant qu’Allah résidera dans le firmament, même tous conjurés, tous les fils d’esclaves, le parti unique, le chef unique, aimait-il ne réussirent à faire crever Fama de faim…

                   Amadou Kourouma (les soleils des indépendances 1970) 


2021-03-08 05:35:54

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