Evolution de la société

Dès le xvie siècle, la Réforme protestante conduite par Martin Luther et Jean Calvin secoue l'Europe tout entière. Le protestantisme porte en lui les germes de ce qui constitue un « terreau » de valeurs qui révolutionnent la conception du travail et de la vie. En effet, d'après Max Weber, le travail n'a pas à être considéré comme le châtiment expiatoire du péché originel comme le rapporterait l'éthique catholique. Ce serait au contraire une valeur fondamentale au travers de laquelle chacun s'efforce de se rapprocher de Dieu. Cette analyse est en contradiction avec le dogme luthérien de la prédestination, la sola gratia, selon lequel Dieu accorde sa grâce sans considération des actes. Ce dogme a été condamné par l'Eglise catholique en promouvant la valeur des actes humains. D'autre part, l'Eglise catholique a condamné l'usure jusqu'en 1830 alors que Jean Calvin l'a autorisé rendant le protestantisme compatible avec le libéralisme et la spéculation. À la suite de la révocation de l'édit de Nantes par l'édit de Fontainebleau de 1685, la France se prive du savoir-faire et des capitaux des protestants, les huguenots, qui fuient vers les Provinces-Unies (aujourd'hui les Pays-Bas), les Pays germaniques (Saint-Empire, Suisse, etc.) et l'Angleterre ; c'est-à-dire vers les pays protestants. Parallèlement, les Récusants et Jacobites émigrent sur le continent européen, notamment en France.

L'évolution des idées est également marquée par la dimension prise par la bourgeoisie au sein de la société. Il est notable que l'expansion économique précoce se fait souvent dans un contexte politique déjà en partie affranchi du féodalisme. Venise, en Italie du Nord, est dominée par les marchands et les Provinces-Unies ainsi que l'Angleterre se sont dotées d'un régime parlementaire.

Transformation de l'entreprise

Peinture de Hendrick Cornelisz Vroom réalisée vers 1600, montrant le départ de voiliers de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

Dès le xviie siècle, les grandes compagnies commerciales maritimes, comme la Compagnie anglaise des Indes orientales (1600) ou la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (1602), préfigurent l'« entreprise » moderne. Elles constituent en effet les premières entités à explicitement viser le profit monétaire et, pour ce faire, à savoir mobiliser hommes, capitaux et moyens matériels (navires) pour exploiter les nouvelles connaissances géographiques et les progrès technologiques : boussole, sextant, etc.

Durant cette ère préindustrielle — ou proto-industrielle selon l'expression de Franklin Mendels — des nébuleuses industrielles comme en Flandres au xviie siècle apparaissent dans lesquelles se développent des formes embryonnaires d'entreprises pour contourner les règles corporatives. Les premières formes juridiques d'entreprises reposant sur la libre association de sociétaires voient le jour, notamment la société en commandite.

L'ampleur des besoins financiers engendrés par la révolution industrielle pose rapidement la question de l'accumulation primitive du capital et consécutivement celle du financement par l'appel à l'épargne publique ou aux capitaux extérieurs. Jusque-là, les « investisseurs » associés au sein de sociétés en nom commun (SNC) découpées en parts non négociables, et non en actions, ont la qualité juridique de « commerçants » et sont, à ce titre, responsables sur leurs biens propres. Les premières sociétés de capitaux comme les sociétés en commandite par actions (actions négociables à la Bourse) remontent en France au Code du commerce de 1807, mais restent marginales.

Or au xixe siècle, la révolution industrielle requiert — comme dans les chemins de fer — une importante concentration de capitaux en vue de financer des investissements de plus en plus couteux. Une nouvelle forme juridique d'entreprise, la société anonyme (SA) facilite les apports en capitaux de plusieurs investisseurs : ceux-ci n'engagent leur responsabilité qu'à hauteur des montants investis, ce qui limite les risques.

Ainsi en Angleterre, la mise en place des joint stock companies (JSC) fait suite à l'abrogation du « Bubble Act » en 1825 et au « Joint Stock Companies Act » de 1856. Ainsi en France est instaurée la société anonyme après les lois de 1863 et 1867 (et en Allemagne en 1870).

Libéralisme à l'aube de l'industrialisation

La réflexion sur le rôle de l'Etat dans l'économie, les thèmes du libre-échange et du protectionnisme sont l'objet d'une longue réflexion historique. Au xviie siècle, le mercantilisme — « économie au service du prince » — énonce de manière pragmatique et parfois assez formalisée (ainsi le colbertisme en France) les premières considérations et théories économiques censées correspondre aux besoins des nations et royaumes. En 1776, un auteur libéral comme Adam Smith est partisan d'un Etat-gendarme capable d'assurer d'une part des prérogatives régaliennes et d'autre part des fonctions tutélaires. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'un Etat minimal.

Par ailleurs, la division du travail est déjà à l'œuvre depuis au moins un siècle dans les chantiers navals (par exemple, l'arsenal de Venise) et illustrée par les planches de l'Encyclopédie. Elle est source d'efficience et de meilleure productivité. La spécialisation et l'interdépendance qu'elle induit entre un nombre croissant d'agents économiques qui y ont recours rend nécessaires les échanges et contribue à généraliser les pratiques de marché. Vincent de Gournay et le mouvement physiocratique lancent au xviiie siècle : Laissez faire les hommes, laissez passer les marchandises.

Le siècle des Lumières promeut la conception d'un Etat garant des libertés individuelles, parmi lesquelles, la liberté du commerce et de l'industrie et, son corollaire, la libre concurrence. Concrètement, il s'ensuit en France l'abrogation des corporations à la suite du décret d'Allarde en mars 1791 et l'interdiction de toute coalition à la suite de la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 : Il n'y a plus de corporations dans l'Etat ; il n'y a plus que l'intérêt particulier de chaque individu et l'intérêt général.

En Angleterre, les Combination Acts de 1799 et 1800 engagent un processus similaire. De telles mesures ont un impact décisif sur le processus de révolution industrielle ; d'après Arnold Toynbee, l'essence même de la révolution industrielle est la substitution de la libre concurrence aux règlementations qui, depuis le Moyen Âge, étaient imposées à la production.

Au xixe siècle alternent des périodes de libre-échange et de protectionnisme. Paul Bairoch observe que le protectionnisme est la règle, le libre-échange l'exception. Le Royaume-Uni commercialiste avait opté dès le xviie siècle pour des mesures protectionnistes telles le « Navigation Act » de Cromwell en 1651, et réitère en ce sens avec les « Corn laws » de 1815 à la suite de « l'Importation Act ». L'abrogation des « Corn Laws » par le « Peel Act » le 15 mai 1846 constitue, au même titre que l'abrogation du « Navigation Act » en 1849, un tournant fondamental du xixe siècle.

Ce libéralisme est donc à l'origine de la généralisation du marché au xixe siècle : celui-ci – autrefois existant mais de manière marginale – devient facteur décisif dans le processus d'industrialisation. Karl Polanyi estime dans La Grande Transformation que le marché fonctionne de manière autorégulée, sans intervention de l'Etat, entre 1834, date de l'abolition de la loi de Speenhamland consacrant la marchandisation de la main d'œuvre, et 1929, date de la grande crise économique qui provoque le retour et le recours à l'Etat en vue d'intervenir activement et réglementer le marché.

Progrès scientifiques

La révolution industrielle est aussi le fait de découvertes et innovations qui favorisent l'industrialisation. La « grappe d'innovation » qui survient, est d'une ampleur telle que la révolution industrielle marque une véritable rupture sur le plan des techniques.

Pourtant, de nombreuses industries ne sont pas à proprement parler récentes : certaines comme l'imprimerie et la soierie remontent au milieu du xve siècle. Les travaux d'Henri Hauser montrent que ces industries ont favorisé l'émergence des premières manufactures dont certaines, en France, sont créées sur décision royale dès le règne d'Henri IV mais surtout sous celui de Louis XIV, influencé par les idées mercantilistes de Colbert.

De même, Lewis Mumford considère l'invention de l'horloge comme l'une des premières activités mécaniques, occasionnant le perfectionnement de certaines techniques et favorisant la division du travail (voir en particulier le modèle d'organisation assez remarquable dit de l'« Etablissage » en vigueur dans l'horlogerie du Jura depuis au moins le xviiie siècle).


2020-05-28 11:08:38 / mazoughou@magoe.gn

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